LE LIVRE RENATUS CHAMBONUS 


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Extrait du livre


 



Préface de Philippe de Villiers

 

 

    C’est à soixante-dix-sept ans que René Chambon, Ingénieur des Arts et Métiers retraité, publie son premier ouvrage, des histoires au service de l’Histoire du temps de sa jeunesse. L’esprit d’enfance qu’il a su conserver perce drolatiquement dans chaque page. De nombreuses « personnes âgées » y rafraîchiront les souvenirs personnels de leurs jeunesses campagnardes avant l’ère du nucléaire, de la télévision, d’Internet et du téléphone portable. Les moins âgés découvriront par le menu les conditions de vie de proches aïeuls bien différentes des leurs.

    C’est avec beaucoup de sel et de truculence que l’auteur narre l’histoire de son enfance et de son adolescence dans une petite commune du Massif Central, avant, pendant et après la deuxième guerre mondiale. Les impécunieux paysans et dentellières du Velay y vivaient comme leurs parents et grands-parents avant eux. Curé en soutane et bonnes sœurs en cornettes y faisaient perdurer une tradition religieuse dont ses parents, en charge des deux classes de l’Ecole Publique, devaient s’accommoder. L’inconfort de leur logement de fonction sidérera les lecteurs nés pendant ou après les « trente glorieuses ». Il était sans eau courante, sans égout, sans salle de bain, sans w.c. intérieurs, sans machine à laver, sans téléphone. De telles commodités n’étant pas imaginables, la famille ne souffrait pas de ne pas en disposer. René Chambon nous a confié que les conditions de vie des Français en ce début de troisième millénaire le font s’interroger sur la notion de Progrès. Il semble ne pas être le seul à vouloir douter de ses bienfaits. « La vie était rude au temps de ma jeunesse mais on n’avait pas les oreilles rebattues des dangers du réchauffement climatique, de pollutions diverses de nos terres et rivières, mers et océans, de l’exponentielle raréfaction des poissons, des chiffres du chômage, de l’insécurité, des repas servis par les « resto du cœur », de la dette publique. Il y avait des taudis mais pas de « mal logés » au motif de ne pas disposer de cuisine équipée, de w.c. intérieurs, de chambre chauffée. Il ne serait venu à personne l’idée que les abeilles puissent disparaître à brève échéance. Trop peu nombreux étaient les obèses pour faire l’objet d’une quelconque alerte sur les risques des « surcharges pondérales ». Le Sida n’étant pas apparu, personne n’en craignait les ravages. Qui avait entendu parler de la maladie d’Alzheimer, docteur mort en 1915, à 49 ans ? Seulement quelques médecins pour un nombre de victimes bien éloigné du million de pitoyables zombies de ce début de troisième millénaire. On mourrait plus tôt, n’était-ce pas mieux ainsi ? Pas d’octogénaire ayant la charge d’une mère ou d’un père centenaire... ». Dans son épilogue l’Ingénieur écrivain exprime son pessimisme : « Les diaboliques avancées technologiques et les procréations « lapiniques » des dernières décennies insupportent de plus en plus notre fragile petite planète et me rendent illusoire la possibilité d’une croissance sans fin. L’humanité n’est-elle pas condamnée à de plus en plus de « sans emploi » ? Pour l’heure la lecture de « Renatus Chambonus» peut être un excellent antidote contre la morosité ambiante. Pagnolesques les jeux de l’auteur avec un remuant copain cousin, l’un et l’autre libre comme l’air dans la campagne et les gorges de l’Arzon, à deux pas de son école.  Être né fils d’un couple d’instituteurs procurait à René le rare privilège de rouler carrosse. Hilarantes les facéties de sa bien-aimée Mathis de 1925, circulant sans clignotants, sans feux de stop, sans ceinture de sécurité, sans airbag, sans GPS. En 1937 elle permit à la famille d’aller découvrir la Grande Bleue, avec des pointes de vitesse de 70 Kilomètres à l’heure.

    La détention d’un livre publié à l’occasion du centenaire du collège de son chef-lieu de canton, où il n’eut de cesse de devenir interne à 11 ans, lui a été opportunité de reproduire d’édifiants témoignages d’anciens élèves. On s’y lavait deux ou trois fois par an, seulement les pieds, par hasard quand la cuisinière offrait deux ou trois bassines d’eau chaude et de la poudre. En hiver on y dormait tout habillé,… souvent le matin, avec la condensation, le traversin était raidi et givré...Ses souvenirs d’interne à l’ENP de Thiers (devenu Lycée technique) rendent compte de la discipline de l’époque : « en rang et en silence pour chaque déplacement ». Suppression de sortie dominicale pour avoir été surpris en ville avec une casquette d’uniforme ôtée ou mise de travers.

    Les récits de l’auteur sont judicieusement rapportés à telle ou telle phase de la guerre 1939-1945 : « la Drôle de guerre », la débâcle, l’Etat Français du Maréchal Pétain, les tickets de rationnement et le marché noir, l’occupation de la zone libre après le débarquement des alliés en Afrique du Nord en 1942, les atrocités des représailles des Allemands contre les attaques de maquisards. Dans son village René a été témoin d’une sanglante attaque d’une garnison allemande en repli vers la Normandie, plus importante que celle d’Oradour sur Glane. « Renatus Chambonus » est aussi un amusant cours d’Histoire, rapidement et aisément assimilable par nombreux citoyens de l’hexagone ne sachant plus grand-chose du conflit planétaire aux plus de cinquante millions de morts.

    A travers les pages de ce livre, on découvre un homme de caractère, d’une grande liberté d’esprit, qui traverse la vie avec panache. C’est une chance inouïe pour le Puy du Fou d’avoir pu croiser sa route. Grâce à son génie créatif, nous avons pu reconstituer un velum unique au monde, identique à ceux qu’on trouvait sur les amphithéâtres romains. René Chambon a gagné son pari : il a retrouvé le nombre d’or du velarium du Colisée, perdu depuis 1500 ans. Ce n’est qu’au XIXème siècle que les archéologues ont retrouvé une peinture représentant l’amphithéâtre de Pompéi recouvert d’un velum. Cette peinture gisait dans les cendres des anciennes colères volcaniques. Il a fallu attendre les recherches, les études de l’ingénieur René Chambon pour comprendre les mécanismes et les techniques ancestrales qui, du Colisée au Circus Maximus, abritaient le public romain. René Chambon est un ami du Puy du Fou et il y a laissé un témoignage d’amour : un chef-d’œuvre de l’imagination, où la science et l’art se fécondent harmonieusement. Lisez ce livre, il est rafraîchissant. Il parle de la vraie vie, celle qui relève les épreuves et les met à la hauteur des grands caractères.

               

                                                                             

 

 

 

 

Trois témoignages parmi d’autres

 

     D’un ami architecte, octogénaire. Vos souvenirs ont été lus avec émotion par mon épouse, avec passion par nous deux. Ils sont écrits en bon français ce qui est rare et simplement. Le mélange des choses comiques, pénibles ou douloureuses interdit de douter de leur authenticité et de leur originalité.  Dans un registre voisin ils ont évoqué pour nous, "La gloire de mon père" de Marcel Pagnol, avec qui vous partagez la même qualité d'écriture. Nous avons recherché, et trouvé, le lieu géographique de Chomelix et de  Craponne, qui appartiennent à  une France tellement profonde qu'on pourrait douter de leur existence. Merci de nous avoir permis de lire ces pages.

 

      D’un patron d’une PME (20 personnes) connue jusqu’en Chine. Bravo pour votre mémoire sur les années passées. Je me suis empressé de lire les premières pages avec grand intérêt.... Et c’est avec grand plaisir que je vais me fondre dans votre récit... Je suis né en 1950, dans la France rurale, mon père issu (comme beaucoup de nos aïeuls du monde  rural) fabriquait du camembert à Isigny-sur-mer....Dans notre maison familiale il n’y avait pas d’eau courante pas de WC pas de douche (alors dans le baquet oui 2 ou 3 fois dans l’année) pas de chauffage, etc. Je me suis reconnu «  la buée de notre respiration avait transformé le bord du drap en glaçon ».... Je suis en train de lire un livre sur la France profonde des années 1870 a la guerre 14....Mais voila nous avons beaucoup oublié… maintenant il faut « consommer », croissance mais surtout gâchis continuel. René je vais vous quitter, et je vous raconterais la suite de ma  lecture. 

 

      D’un jeune ami ingénieur de 25 ans.  En ce qui me concerne, j'ai vraiment apprécié de le lire. Déjà dans tes mails, j'aimais beaucoup ton style d'écriture. Même si il est clair que ce genre d'ouvrage n'est pas du tout le type de lecture que j'entreprends d'habitude, j'ai été vraiment agréablement surpris. Outre l'aspect autobiographique, il était vraiment intéressant d'apprendre comment était la vie durant ces périodes là de l'histoire. Tes descriptions des premières voitures, de leur fonctionnement est également un autre aspect de la chose qui m'a fortement intéressé... sans doute est-ce là le côté ingénieur qui ressort de moi. Ce qui est également surprenant c'est l'histoire entrecoupée d'événements décrits de manière parfois "crue", notamment lors de tes petits ennuis de santé...


 

 

 

 

Grands-parents et parents

 

Narrer ce qu’ont été les vies de mes grands-parents et parents m’est une façon de rendre hommage à tous ces hommes et femmes de leurs générations, les principaux artisans de l’essor économique de l’hexagone aux dix-neuvième et vingtième siècle. Il n’est pas interdit aux lecteurs ayant des « papiers » français récents de prendre la mesure de ce qu’ils doivent aux laborieux paysans, contemporains de mes grands-parents.et parents. Nombreux étaient les miséreux du Massif Central qui montaient à Paris aux saisons froides pour y construire de prestigieux monuments, y creuser les galeries du métro. Comment ne pas s’attendrir sur la peine des pauvres diables ayant construit ces innombrables terrasses vivrières toujours bien visibles sur les flancs de nos montagnes !  Mes descriptions des épouvantables conditions de logement et de chauffage d’une privilégiée famille d’instituteurs dans les années 1930 à 1950 laissent imaginer celles des impécunieux paysans à la même époque et en des temps plus anciens.

    Mes quatre grands-parents sont nés entre 1850 et 1890 en Haute-Loire, un département aussi déshérité que ses voisins Cantal, Ardèche et Lozère. Misérables ont été leurs enfances dans de misérables familles paysannes en zone montagneuse, guère plus enviables que celles des jeunes mineurs d’Emile Zola. A chaque génération les terres cultivées avaient été partagées. Les surfaces possédées par chaque famille diminuaient et il n’était plus possible d’arracher à la montagne d’autres terrasses. La situation devenait intenable, il fallait partir. C’est le choix qu’a fait, tout jeune, mon grand- père paternel Auguste Chambon, treizième des quinze enfants de fermiers de Montusclat, près du mont Mézenc, au pays dit « des trois toits ». Quinze enfants (9 filles et 6 garçons) en 18 ans ! Mon arrière- grand-mère n’avait que 40 ans à l’arrivée de la dernière-née, Maria, en 1868. Au pays dit « des trois toits » car la plupart des misérables habitations n’avaient pu être couvertes que de lauzes (grosses pierres plates), de genêts ou de chaume ! Humains et animaux pouvaient y vivre groupés dans le même espace, un moyen de profiter de la chaleur des bovins. Les hivers sibériens contraignaient à stocker jusqu’au dégel, dans l’église ou sur un toit, les cercueils des morts. Grand-père paternel fut sans doute l’un de ces milliers d’auvergnats, livreurs de charbon ou employés dans les débits de boisson de la capitale, qu’on nomma « bougnats ». En ce début de troisième millénaire beaucoup de leurs descendants y ont pignon sur rue et partagent leur attachement à la terre des ancêtres au sein de nombreuses associations. Engagé volontaire en 1890, à 24 ans, il bénéficia d’une affectation spéciale de « chasseur forestier » dans la « Conservation des forêts ». En 1901 il fut affecté en Algérie en tant que tel, marié depuis six ans à Marie Lagier, ma grand-mère un peu plus jeune. Son carnet militaire m’apprend qu’il était équipé d’un uniforme avec casque en liège, d’un fusil, d’un revolver…et d’un sabre de cavalerie légère, modèle 1755 (je dis bien 1755). C’est en Algérie, vers 1912, qu’il fut foudroyé par le typhus. Toutes mes recherches pour connaître la date exacte de son décès, auprès de sa commune de naissance, des archives départementales et des archives nationales, sont restées vaines. Les misères endurées par ma grand-mère en charge de quatre orphelins, de 5 à 13 ans, amenèrent papa à reprocher à son géniteur l’« expatriation » aventureuse. Est-ce cette rancune sournoise qui le dispensa d’aller se recueillir sur une tombe du Constantinois algérien ? A Souk-Ahras sont des ossements qui n’ont reçu aucune visite depuis plus d’un siècle. Papa me disait que sur le tard des Pères Blancs lui avaient procuré une certaine instruction. Que sont devenus ses nombreux frères et sœurs ayant survécus à la misère ?  Nous recevions parfois la fille de l’un d’eux mais le seul souvenir que j’en garde est la crainte que m’inspirait son mari, ayant compris qu’il était gardien de prison….

    A la mort de grand-père paternel sa veuve, de trente-quatre ans, quitta le Constantinois algérien et revint au pays natal. Comment logea t’elle et nourrit-elle ses deux jeunes garçons et ses deux fillettes ? Pour elle aussi ni Sécurité Sociale ni allocation d’aucune sorte. Quelques récits de papa sur les conditions matérielles de son enfance m’ont donné des émotions très semblables à celles ressenties à la lecture des « Misérables » ou du « petit Poucet ». La pauvre veuve assumait seule l’existence de tous avec le lait de quelques chèvres, un potager et un travail sans relâche, penchée sur son carreau de dentellière de l’aube jusqu’à très tard dans la nuit, les yeux rouges de fatigue accumulée. Dès que leurs tailles le permirent les deux garçons furent loués dans une ferme pendant les vacances scolaires, comme leurs sœurs avant eux. Les petits pécules rapportés s’ajoutaient aux économies qu’avait pu réaliser la maman pendant le temps où elle n’avait pas à les nourrir. C’est ainsi que, dès l’âge de sept à huit ans, papa dut participer à de pénibles travaux des champs et d’écurie. Les rustres patrons exigeaient beaucoup de cette main d’œuvre bon marché, encore trop coûteuse à leurs yeux. Il gardait le souvenir des humiliations de certains matins de son enfance où il devait se sustenter d’une mauvaise soupe en face du fils de la famille se régalant d’un bol de chocolat. Besoin de revanche, il prenait plaisir à raconter comment l’un de ces croquants avait acheté une série de sabots de toutes les pointures pour chausser jusqu’à sa majorité, à un prix de gros, son héritier en bas âge. Le grigou exigeait de tous les membres de la famille de récupérer soigneusement leurs urines pour arroser les terres. Je connais peu de chose de l’enfance de mon géniteur. Je me souviens qu’il riait de bon cœur en narrant sa participation à une espièglerie des gosses de son époque : depuis un soupirail tirer vivement la ficelle à laquelle était attaché un porte-monnaie, quand un quidam se penchait pour le récupérer. Je tiens encore de lui qu’il y avait tant de truites dans les rivières qu’il les attrapait avec un râteau, dans le bief d’un moulin. Les poissons étaient alors nourriture si détestable que les employés de ferme exigeaient de leurs patrons de ne pas manger du saumon plus de deux fois par semaine...

    Vers leurs seize ans les deux sœurs aînées de papa partirent s’embaucher en usine, allégeant ainsi la charge de la mère. On peut imaginer la douleur de cette dernière quand l’épidémie de grippe espagnole de 1918 emporta ses deux filles. Ouvrières à Roanne, à cent cinquante kilomètres de là, il est vraisemblable qu’elles ont fait partie de nos millions de femmes affectées à la fabrication de munitions. L’aînée devait avoir une vingtaine d’années et l’autre un peu moins. Papa se souvenait toujours avec beaucoup d’émotion des câlins qu’elles lui prodiguaient. Il réussit à extraire leurs visages d’une photographie de groupe, les seules images d’elles en sa possession, et fit l’agrandissement que je conserve. Il m’a été impossible de connaître où elles sont nées (à Souk-Ahras en Algérie ?) et où elles sont inhumées. La mobilisation de ses deux fils en 1939 a sans doute été, pour grand-mère, l’épreuve de trop. Qu’elle soit décédée quand ils étaient soldats me fait croire qu’elle s’est laissée mourir de désespoir. C’est ma mère qui eut à les remplacer à son chevet, lors de la débâcle de la « meilleure armée du monde ». L’agonie ne dura que quelques jours mais les angoissantes nouvelles à la TSF, et l’ignorance de la situation du mari militaire, rendaient quelque peu héroïque les cinq kilomètres de marche à pied pour se rendre au domicile de la belle-mère. L’aviateur Guillaumet rendit compte de sa célèbre descente dans la neige des sommets andins en disant « ce que j’ai fait là aucune bête ne l’aurait fait ». Cinquante ans après son exploit mon égocentrique mère me confia : « ce que j’ai fait là aucune autre femme ne l’aurait fait ». Après avoir subi tant d’épreuves grand-mère paternelle fut condamnée à quitter ce monde hors la présence de l’un ou l’autre de ses derniers enfants. Je ne garde d’elle qu’une image très floue mais je revois clairement deux des présents qu’elle nous fit, à mon frère et à moi. L’interdiction de ne pas m’en accaparer ne faisait que multiplier mes regards de convoitise. Ils n’étaient pas des jouets mais deux grosses montres à gousset et deux livrets de caisse d’épargne. L’arrivée des montres à bracelet rendit ridicule le port de celle de l’aïeule avant que j’aie atteint l’âge justifiant d’avoir l’heure sur soi. La dévaluation de la guerre réduisit a si peu le principal et les intérêts des livrets que ceux-là furent négligemment abandonnés à l’Etat. N’ayant aucune idée des chambardements du futur grand-mère n’avait peiné sur son carreau de dentelle que pour l’hommage que je lui rends aujourd’hui.

    Les deux sœurs de papa font partie des 400.000 français, et des quelque vingt millions d’humains de par le monde, victimes en quelques mois du terrible virus, vraisemblablement transmis par de la volaille. La pandémie se déclencha au printemps, sommeilla en été et explosa en automne.  La mitraille, les baïonnettes et le gaz moutarde de la Grande Guerre furent notablement moins meurtriers. Comme le sida et le coronavirus aujourd’hui ce n'était pas la grippe elle-même qui tuait mais les complications redoutables qui pouvaient s'ensuivre. Pneumonies, endocardites, thromboses, hémorragies intestinales, méningites, abcès au cerveau, ramollissement cérébral, paralysies furent les suites les plus meurtrières. Des épidémiologistes s’étonnent que la tueuse n’ait pas fait plus de morts et ne cachent pas leur crainte d’un retour de pareille catastrophe tant sont imprévisibles les mutations des virus et leurs passages de l’animal à l’homme.  Le frère cadet de papa, mon oncle Joseph, partit à seize ans s’embaucher à la Manufacture d’armes et cycles de Saint-Étienne. D’une adresse exceptionnelle, il taillait si rapidement ses crosses de fusils que les primes ajoutées aux salaires lui procurèrent une certaine aisance. Malheureusement celle-là l’autorisa à prendre de mauvaises habitudes de boisson dont il ne se défit jamais. Au bout de peu d’années il s’installa à son compte dans la production de lettres découpées dans des feuilles de métal, puis de carabines à air comprimé et de pistolets, de poignées de portes, de dessous-de-plat, et bien d’autres choses encore. Il vécut en concubinage et n’eut pas d’enfant. Des photographies me rappellent qu’il nous rendait souvent visite, avec des jouets pour mon frère et moi. Sa caisse de retraite n’eut pas à lui verser beaucoup, l’alcool l’ayant fait quitter ce monde dans un état pire que pitoyable, peu après ses soixante-cinq ans. Jean, mon père, fut le plus chanceux des enfants du malheureux garde forestier foudroyé par le typhus. Un de ses instituteurs remarqua son intelligence et lui fit obtenir une bourse pour entrer à l’Ecole Normale d’Instituteurs. Son exemption de service militaire le fit, dès sa sortie, nommer à Bonneval, un joli petit village près de la Chaise-Dieu, blotti au fond d’une jolie vallée. Pendant un an ou deux il y partagea son logement de fonction avec sa mère bien aimée et y débuta sa carrière de génial « touche à tout ». Son joli buffet à deux corps, en noble bois de merisier, fait encore le bonheur d’une de ses petites-filles. Je salue, chapeau bas, celui qui, à vingt ans, sans aucune expérience en la matière, avec pour seuls outils quelques ciseaux, scies et rabots à main, a su fabriquer pareil meuble. Les assemblages par tenons et mortaises sont d’une qualité stupéfiante.

    La famille de la branche maternelle vivait près de La Chaise-Dieu (célèbre abbaye avec curieuse fresque de danse macabre) au nord du département, un territoire à peine moins froid et à peine plus fertile que celui de la branche paternelle. On faisait beaucoup d’enfants : grand-mère maternelle avait sept sœurs et un frère. Lui seul, mon grand-oncle Johannes, eut la chance d’aller à l’école au-delà de 14 ans. Il devint instituteur républicain avec un standing de vie enviable. Grand et corpulent, il semblait avoir pris sur lui d’incarner toute la dignité de l’Institution Educative de notre Troisième République. A contrario je tiens de deux de ses sœurs des témoignages sur leurs sorts d’enfants assez semblables à celui de la Cosette du roman de Victor Hugo. L’impécunieux paysan chez qui ma marraine Léontine était louée, très jeune, lui commanda un jour : « Léontine, quand tu feras la soupe du chien fais en un peu plus, il y en aura pour toi ». Quand je fus en âge de l’entendre une autre de ces grands-tantes, Félicie, me raconta comment elle en était réduite à racler avec ses ongles les coulures du sang de ses règles sur ses cuisses et mollets tandis qu’elle devait tasser le foin sur le char à vaches de son patron.

    Le massacre d’un million et demi d’hommes dans les tranchées de 14-18 condamnait des centaines de milliers de femmes au veuvage ou au célibat, et à survivre avec de faibles moyens, sans Sécurité Sociale ni Allocation de quelque nature que ce soit. Après les enfances difficiles que je viens d’évoquer quatre des sept sœurs restèrent célibataires à vie, toujours vêtues de lourdes et longues robes noires, gagnant péniblement leur pain quotidien avec leurs carreaux à dentelle. La chirurgie étant encore balbutiante deux d’entre elles conservèrent jusqu’à leur mort un pied bot ou une bosse dans le dos. La médecine n’étant pas ce qu’elle est aujourd’hui grand-mère maternelle, Clémence, l’aînée, mourut à 30 ans, des suites de ses couches, cinq ans plus tôt ! La jeune orpheline, ma mère, fut confiée à un couple sans enfant, les « Rome, relativement aisé grâce au salaire de l’homme, enseignant dans une école laïque. Les dirigeants de l’époque encourageant les expatriations au Maghreb le veuf devint charpentier dans une mine d’Algérie. Il revint au pays quelques années plus tard avec une seconde épouse pied noir de 14 ans sa cadette. Le couple que j’ai connu vivait chichement grâce à un petit atelier de menuiserie, une toute petite épicerie et une charge de garde-champêtre avec casquette et tambour.

Le sobriquet « Brailledor » de grand-père maternel résulte-t-il d’une voix de chanteur d’opéra, ou portant un ample pantalon (des braies) de velours caca d’oie, ou virtuose de la bagatelle ? L’application de sangsues qu’on lui fit pour combattre une attaque cérébrale inquiéta beaucoup l’enfant que j’étais et fut totalement inopérante. Il en mourut sans autre descendance que ma mère, à soixante et onze ans, quand j’avais une douzaine d’années. Ma mère fut comme un petit ange tombé du ciel pour le couple sans enfant qui la recueillit au décès de sa maman, choyée et adulée au-delà du raisonnable. Las ! la femme Rome était obsédée de religion jusqu’à porter un cilice, sorte de ceinture de mortification, en crin ou en métal, et à infliger à l’enfant une overdose de catéchisme, de messe, de vêpres et de prières aux repas et aux couchers. Overdose qui, plus tard, lui fit fuir comme la peste le Bon Dieu, la Vierge Marie et tous les anges. Mariée, elle ne mit plus les pieds dans les églises que pour les baptêmes, les mariages et les enterrements. Mon tardif premier sacrement à l’âge de neuf mois ne troubla jamais sa conscience alors que les piliers de bénitiers me désignaient comme « lou peti dou diable » pour cette violation des lois vaticanes, insupportablement sacrilège à leurs yeux. Les parents adoptifs moururent peu de temps après son mariage sans avoir à connaître combien leur adorée deviendrait mécréante. Pour son malheur l’enfant unique qu’était ma mère fut aussi, jusqu’à son adolescence, l’unique enfant des six sœurs et du frère de sa mère. La fille de la défunte aînée fut traitée en prodige, choyée, admirée, louangée par ses jeunes tantes et oncle très soudés de la tribu des « Carcalan », un sobriquet ayant pour origine le pompon de laine pendant de la chéchia d’un ancêtre, zouave sous le second empire. Papa disait parfois « quand on en voit un on les voit tous ». Durant toute son enfance et son adolescence leurs prévenantes attentions la conforta dans une très haute idée de sa personne. A sa sortie de l’Ecole Normale d’Institutrices elle fut affectée dans un petit bourg, si loin de tout qu’il était encore sans électricité en 1928. Ne sourions pas, en novembre de l’an deux mille la télévision m’a appris qu’une campagnarde de chez nous venait d’être raccordée au réseau EDF, après avoir vécu ses soixante-dix printemps sans électricité. Ma mère fut certainement parmi les derniers maîtres d’école à entrer dans la carrière en s’éclairant avec des lampes à pétrole.

    Je confesse souvent avoir eu beaucoup de chance de naître tel que je suis né, quand je suis né et où j’ai vécu mes jeunes années. J’ai été un heureux bénéficiaire de « l’ascension sociale » sous notre Troisième République, puis des « Trente Glorieuses ». Grands-parents enfants de misérables paysans, parents instituteurs, moi ingénieur. Assiste-t-on aujourd’hui à une inversion radicale de tendance : j’entends que le pourcentage de pauvres chez les jeunes est deux à trois fois plus élevé que chez les vieux, (pardon : les personnes âgées.) Comme tout humain, y compris les papes, les curés et les bonnes sœurs, c’est le hasard d’une rencontre entre un homme et une femme qui me fit naître. Pour moi il fut qu’à la fin des années 1920 le jeune instituteur et la jeune institutrice que je viens de mettre en scène eurent un premier poste dans des bourgades voisines. N’ayant d’autre moyen de locomotion que sa bicyclette papa ne pouvait pas chasser très loin et son instruction le portait naturellement vers une personne de sexe opposée capable de soutenir une conversation, une denrée alors rare dans un coin perdu du Massif Central. C’est de son village qu’il partit à bicyclette à ses rendez-vous galants de l’été 1929. Ils furent suivis d’une présentation aux deux familles. Las ! le grand-père maternel avait connu en Algérie les us et coutumes maghrébines. Agé de seulement cinquante-trois ans il réclama une rente en bonne et due forme en échange de la main de sa fille. Papa rétorqua « s’il y en a une pour vous il y en aura aussi une pour ma mère ». Sans doute choquée par un tel marchandage la fille menaça de se dispenser de l’accord paternel. Les bans furent vite établis et les mariages, civil et catholique, prononcés à la mairie et dans la petite église du village de Bonneval. Malgré son dépit pépé vint y donner le bras à sa progéniture. Une photographie des époux et de leur vingtaine d’invités aux cérémonies et aux agapes immortalise la faste journée de réparation des faiblesses estivales. Bel homme était le marié malgré son pantalon trop court. L’effroyable mode de l’époque ne cachait rien des rondeurs de la petite grassouillette épousée portant l’incontournable fleur d’oranger, symbole de virginité. (?).

    Tout de suite après le mariage de 1929 le couple rejoignit les nouvelles affectations attribuées par l’Académie, les deux classes de l’école communale du Bouchet Saint Nicolas, un bourg à une trentaine de kilomètres au sud du Puy en Velay. L’endroit est très connu pour son splendide grand lac bordé de forêts de pins, circulaire comme le cratère du volcan qui contient ses eaux noires, à mille trois cents mètres d’altitude. Il est toutefois fortement conseillé d’aller le découvrir à la belle saison car les hivers y sont souvent sibériens. Là aussi il fallait parfois stocker les défunts sur les toits, jusqu’au dégel…Apprise de la bouche de ma mère, peu portée à la grivoiserie, pendant des années je tins pour authentique l’existence d’une piquante affaire de cocufiage au Bouchet Saint-Nicolas. Elle était celle d’un coquin qui entrait subrepticement où il savait trouver une femme seule dans son lit, le mari étant parti, sans fermer la porte, rejoindre dans la « maison d’assemblée » des compagnons de belote. L’épouse endormie sous cinquante centimètres de couvertures et d’édredon, dans une chambre à zéro degré, comprenait trop tard, ou ne comprenait pas, que l’hommage reçu n’était pas du mari. La peur du scandale faisait garder le silence à toutes. Ayant récemment lu la même drôlerie de « satyre » dans le best-seller « Clochemerle » je me dis, aujourd’hui, que celle-là a pu être pure invention, pour rire dans de nombreuses chaumières de France.

    Quelques propos amers de papa m’ont bien fait comprendre que ces premières années de vie en ménage furent pour lui le commencement de la « Grande Désillusion ». Absence de moyens contraceptifs et pulsions sexuelles trop longtemps contenues firent que l’épouse fut engrossée illico, dès la nuit de noce, la date de naissance de mon frère le dit clairement. La lune de miel fut de courte durée. Peu de temps après le mariage l’époux eut à supporter pendant de longs mois la présence de l’envahissante tante Maria. Venue aider sa chère nièce, cette rude campagnarde célibataire forçait la future maman « à manger comme quatre » parce qu’il « faut manger pour deux », le mari n’ayant plus rien à dire dans cette affaire de femmes. Les kilos superflus pris pendant la grossesse et soigneusement entretenus pour raison d’allaitement ont, sans doute, été responsables de la sévère phlébite de celle qui les portait. En sus de l’encombrante tante papa dut s’accommoder longtemps d’une jeune épouse alitée. Le caillot de sang finit par se dissoudre mais jamais les graisses stockées, notamment dans les fesses.  Tout me porte à croire que mon malchanceux père était, dès le lendemain du mariage, incité à se dépêcher et condamné à ne connaître de l’amour que de hâtives libérations physiologiques. Sa grande sensibilité lui aurait pourtant permis de dispenser et d’apprécier les tendresses qui subliment l’être, avant, pendant, et après le rapport physique. Grande tante Maria se maria, à 47 ans, avec un menuisier, de quinze printemps son aîné… qui mourut trois ans plus tard. Le souvenir de sourires entendus me laisse croire que les mauvais plaisants ne se sont pas privés d’explications grivoises. La veuve se consola dans la religion et devint la préposée incontournable des « Pater Noster » et des « je vous salue Marie » dans toutes les occasions. A la fin des agapes clôturant les enterrements c’est avec une voix de stentor qu’elle débitait ses prières, à une vitesse vertigineuse, tout en égrenant un gros chapelet. Savait-elle ce qu’étaient « les pompes et les œuvres de Satan » ? Sans doute pas mieux que la plupart des paysans endimanchés prononçant leur renonciation à ces horreurs au cours des messes dominicales, seulement boudées par quelques rares mécréants. Elle mourut à près de 90 ans. Je détiens un émouvant document de sa main signalant post mortem qu’elle s’était offert « un petit cercueil » et avait réglé les « fossoyeurs ». Son testament donna à mon frère et à moi-même une partie de ses maigres économies de dentellière et de retraite vieillesse de l’époque, un minimum de survie attribué depuis 1956 sans contrepartie de cotisation, devenu en 2005 « Allocation de solidarité aux personnes âgées ». Un revenu béni des Dieux qui, sur ses vieux jours, lui avait permis de s’offrir un très convoité pèlerinage à Lourdes. Ce fut la dernière fois que je la vis. C’était en 1967, ma famille alors installée dans la Cité Mariale.

    En 1933 leurs anciennetés et leur premier enfant autorisèrent mes parents à demander de nouvelles affectations. L’Académie les combla en leur octroyant les deux classes du gros bourg de Chomelix. Par une belle journée d’été on chargea le peu de mobilier dans un petit camion et on prit la route dans la Trèfle Citroën (on prononçait citron, comme le fruit), récemment acquise. Le nom de cette automobile très populaire découlait de la disposition de ses trois places, en étoile comme les trois feuilles de l’herbacée qui s’offre parfois la fantaisie d’en posséder une quatrième. Le siège arrière était dans un puits de l’extrémité de carrosserie profilée en cul de poule, accès réservé aux enfants agiles ou aux personnes minces et sportives. Les deux sièges avant n’autorisaient que l’embonpoint d’un seul des deux occupants. Les passagers pouvaient être protégés de la pluie par le déploiement d’une capote de toile noire, crochetable sur le haut du pare-brise. La fixation de la roue de secours contre le côté gauche de la voiturette ne permettait qu’un seul portillon d’accès sur le côté opposé. Comme pour toutes les voitures de cette époque des marchepieds extérieurs couraient entre les garde-boues avant et arrière. Le démarrage du moteur s’opérait avec une manivelle à main, dangereuse en cas de retour par mauvais réglage d’allumage. La pédale d’accélérateur était entre celles de débrayage et de freinage. Transmise par des câbles d’acier aux seules roues arrière la pression du pied sur cette dernière était de peu d’effet. Dans une descente assez raide papa eut l’idée de tirer sur le frein à main afin de réduire le risque d’emballement. C’était une erreur : il y eut échauffement, avec fumée et odeur associées, car le tambour, monté sur l’arbre de sortie de boîte à vitesses, tournait trop vite. Solution d’urgence à urgence, le chauffeur souleva une latte de bois du plancher couvrant l’incendiaire et pissa sur ses rougeurs dangereuses. Les automobiles d’alors ne disposant pas d’indicateurs de changement de direction les conducteurs devaient, selon le règlement, tendre le bras à l’extérieur pour tourner à gauche ou dépasser. Dans notre région il était si invraisemblable d’avoir un véhicule derrière soi que papa bifurquait sans prendre cette précaution, sans tourner la tête pour pallier l’absence de rétroviseur. Les flèches à commande électromécanique des voitures d’après-guerre se sont substituées aux bras en chair et en os, cela allait de soi. Elles furent remplacées par deux clignotants latéraux en haut des portières, eux-mêmes remplacés par des paires de feux de signalisation de changement de direction à l’avant et à l’arrière du véhicule. Vitesse de pointe de 60 kilomètres à l’heure, absence d’amortisseurs, nids de poule, près de trois heures furent nécessaires pour parcourir les soixante kilomètres du voyage. Si longtemps à l’étroit dans le puits du cul de poule de la Trèfle avait rendu

   




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